Saturday, December 19, 2009

Lorsque paraît sur la scène un de ces rares grands pervers, tel Vacher ou Kurten, qui tuent pour le simple plaisir, l'âme entière de la foule est soulevée. Non par l'horreur seule, mais par un étrange intérêt, qui est la réponse de notre profond sadisme au leur. On dirait que nous tous, malheureux civilisés, aux instincts entravés, sommes en quelque façon reconnaissants à ces grands criminels
désintéressés de nous offrir de temps en temps le spectacle de nos plus primitifs et coupables désirs enfin réalisés.
(Marie Bonaparte)

Sunday, October 11, 2009

[...] Mais ni le noir, ni le froid ne me repaissent. Pour raviver haine et douleur, il faut que j'aille à meilleure pâture car la nuit, mon aire de vie, est elle-même affamée d'autres haines et d'autres douleurs.
Et les étoiles cloutant le ciel jalonnent mes errances.
Les hommes me prêtent bêtise, lourdeur... Ah, les hommes ! Ils s'imaginent être les seuls maîtres de cette vulnérable boule de terre : leur nid obéissant à l'espace, alors que déjà, depuis sa création, elle est dominée par un éternel et puissant souverain fourchu qui l'a confiée à deux métayers instables mais de forces égales, l'un noir : la nuit, mon pâturage ; l'autre blanc : le jour, celui des hommes. Tous deux se querellent, empiétant peu à peu sur la part de l'autre dans un imperceptible mais constant jeu de forces, réglé d'avance et ne leur laissant en définitive, à tour de rôle, qu'un temps de victoire mesuré...
Hhrrr... et moi, à ma façon, ne suis-je pas également un maître ? Maître de la peur des hommes... Je vis la nuit, je meurs le jour...On me dit lourdaud, mais on se méfie. On me menace, mais on me fuit...
Cette nuit, mes griffes entrent dans un sol de velours jais et le lacèrent profondément, me donnant la sensation de prendre possession d'une chair tendre.
Ma course creuse le sombre comme lui-même écreuse mon ventre vide... toujours vide... Mes faims sont la terreur des hommes. Elles sont le bouquet de tous les appétits d'un monde maléfique... le mien. Vouloir les contraindre m'est impossible. Toujours mon ventre exige... Ses désirs sont longs de l'entière durée d'une nuit chaque soir impitoyablement renouvelée... Hhrrr... Tout ce qui me fait envie doit aussitôt être à moi...
Certes, si je ne courais pas ainsi, sans cesse, peut-être garderais-je les forces prises à mes victimes... Mais rester sur place, sans besoin, ne m'est pas permis : à leur tour les hommes détruiraient mes forces afin d'apaiser leur constant appétit de quiétude. [...]

Claude Seignolle, Le Galoûp

Thursday, September 10, 2009

A celle qui est trop gaie

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par ta santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l'emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t'aime !

Quelque fois dans un beau jardin,
Où je trainais mon atonie,
J'ai senti comme une ironie
Le soleil déchirer mon sein ;

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon coeur
Que j'ai puni sur une fleur,
L'insolence de la nature.

Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne
Comme un lâche ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur !
A travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T'infuser mon venin, ma soeur !

Charles Baudelaire, Pièces Condamnées

Saturday, September 05, 2009

A l'Homme
(fragment)

C'est parce que je roule en moi ces choses sombres,
C'est parce que je vois l'aube dans les décombres,
Sur les trônes le mal, sur les autels la nuit,
Bravant tout ce qui règne, aimant tout ce qui souffre,
J'interroge l'abîme, étant moi-même gouffre ;
C'est parce que je suis parfois, mage inclément,
Sachant que la clarté trompe et que le bruit ment,
Tenté de reprocher aux cieux visionnaires
Leur crachement d'éclairs et leurs trous de tonnerres ;
C'est parce que mon coeur, qui cherche son chemin,
N'accepte le divin qu'autant qu'il est humain ;
C'est à cause de tous ces songes formidables
Que je m'en vais, sinistre, aux lieux inabordables,
Au bord des mers, au haut des monts, au fond des bois.
Là, j'entends mieux crier l'âme humaine aux abois ;
Là, je suis pénétré plus avant par l'idée
Terrible, et cependant de rayons innondée.
Méditer, c'est le grand devoir mystérieux ;
Les rêves dans nos coeurs s'ouvrent comme des yeux ;
Je rêve et je médite, et c'est pourquoi j'habite,
Comme celui qui guette une lueur subite,
Le désert, et non pas les villes ; c'est pourquoi,
Sauvage serviteur du droit contre la loi,
Laissant derrière moi les molles cités pleines
De femmes et de fleurs qui mêlent leurs haleines,
Et les palais remplis de rires, de festins,
De danses, de plaisirs, de feux jamais éteints,
Je fuis, et je préfère à toute cette fête
La rive du torrent farouche, où le prophète
Vient boire dans le creux de sa main en été,
Pendant que le lion boit de l'autre côté.

Victor HUGO, "La Légende des Siècles" (11 octobre 1876)

Thursday, August 27, 2009

La Terreur Rose

Le rose n'est pas une couleur, c'est le bâtard du rouge triomphant et de la lumière coupable ; né d'un inceste où l'enfer comme le ciel ont joué un rôle, il est resté la teinte de la honte. Mais cela, je ne l'ai senti que plus tard, quand il m'était devenu impossible de sortir encore de la géhenne.
La connaissance d'après coup, celle qui arrive trop tard pour vous sauver, me rappela que le rose est jumellé à l'horreur.
Fleur sanglante des poumons phtisiques, mousse aux lèvres des hommes qui meurent la poitrine percée, tissus visqueux des foetus, prunelles affreuses des albinos morbides, témoin du virus et du spirochète, compagnon des sanies et de toutes les purulences, il a fallu l'innocence et l'admiration des enfants et des jeunes filles pour l'entourer de désirs et de préférences, et cela même démontre sa malice et sa ténébreuse essence.

Jean Ray, les Derniers Contes de Canterbury, La Terreur Rose
[...]
Ceux qui prônent la litote ont partie liée avec le monde. Il leur déplairait d'entendre soudain, surgis du silence complice, tous ces appels depuis toujours refoulés. Mais l'éloquence non plus ne sauverait rien. Le monde est fait de telle sorte que l'innocence doit périr.
Dostoïevski disait : "Si le monde permet le supplice d'en enfant innocent par une brute, je rends mon billet."
Eh bien, voici toutes mes billes
[...]

Gérard Prévot, Les Oyats, Chap 18

Monday, August 10, 2009

L'écolière

Je t'apprendrai, chère petite,
Ce qu'il te fallait savoir peu
Jusqu'à ce présent ou palpite
Ton beau corps dans mes bras de dieu.

Ta chair, si délicate, est blanche,
Telle la neige et tel le lys,
Ton sein aux veines de pervenche
Se dresse en deux arcs accomplis ;

Quant à ta bouche, rose exquise,
Elle appelle mon baiser fier ;
Mais sous le pli de ta chemise
Rit un baiser encore plus cher...

Tu passeras, humble écolière,
J'en suis sûr et je t'en réponds,
Bien vite au rang de bachelière
Dans l'art d'aimer les instants bons.

Paul Verlaine, Filles, Femmes et autres chansons

Tuesday, July 21, 2009

Que m'importe que tu sois sage ?
Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs
Ajoutent un charme au visage,
Comme le fleuve au paysage ;
L'orage rajeunit les fleurs.

Je t'aime surtout quand la joie
S'enfuit de ton front terrassé ;
Quand ton coeur dans l'horreur se noie ;
Quand sur ton présent se déploie
Le nuage affreux du passé.

Je t'aime quand ton grand oeil verse
Une eau chaude comme le sang ;
Quand, malgré ma main qui te berce,
Ton angoisse, trop lourde, perce
Comme un râle d'agonisant.

J'aspire, volupté divine !
Hymne profond, délicieux !
Tous les sanglots de ta poitrine,
Et crois que ton coeur s'illumine
Des perles que versent tes yeux !

Je sais que ton coeur, qui regorge
De vieux amours déracinés,
Flamboie encor comme une forge,
Et que tu couves sous ta gorge
Un peu l'orgueil des damnés ;

Mais tant, ma chère, que tes rêves
N'auront pas reflété l'Enfer,
Et qu'en un cauchemar sans trêves,
Songeant de poisons et de glaives,
Eprise de poudre et de fer.

N'ouvrant à chacun qu'avec crainte,
Dechiffrant le malheur partout,
Te convulsant quand l'heure tinte,
Tu n'auras pas senti l'étreinte
De l'irrésistible Dégoût,

Tu ne pourras, esclave reine
Qui ne m'aime qu'avec effroi,
Dans l'horreur de la nuit malsaine
Me dire, l'âme de cris pleine :
"Je suis ton égale, ô mon Roi !"

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

Thursday, July 09, 2009


Federico Bebber

Un artiste à découvrir absolument !
Enorme
Grandiose
Beau


http://paintalicious.org/2007/08/24/federico-bebbers-photography/
L'examen de la nuit

La pendule, sonnant minuit,
Ironiquement nous engage
A nous rappeler quel usage
Nous fîmes du jour qui s'enfuit :
- Aujourd'hui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgré tout ce que nous savons,
Mené le train d'un hérétique.

Nous avons blasphémé Jésus,
Des Dieux le plus incontestable !
Comme un parasite à la table
De quelque monstrueux Crésus,
Nous avons, pour plaire à la brute,
Digne vassale des Démons,
Insulté ce que nous aimons
Et flatté ce qui nous rebute ;

Contristé, servile bourreau,
Le faible qu'à tort on méprise ;
Salué l'énorme Bêtise,
La Bêtise au front de taureau ;
Baisé la stupide Matière
Avec grande dévotion,
Et de la putréfaction
Béni la blafarde lumière.

Enfin, nous avons, pour noyer
Le vertige dans le délire,
Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,
Dont la gloire est de déployer
L'ivresse des choses funèbres,
Bu sans soif et mangé sans faim !...
- Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les ténèbres !

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Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

Friday, July 03, 2009

Petit coup de coeur...

Nino Ferrer
La Maison près de la Fontaine

(extrait de l'album Métronomie, sorti en 1975)


La maison près de la fontaine
Couverte de vigne vierge et de toiles d'araignée
Sentait la confiture et le désordre et l'obscurité
L'automne
L'enfance
L'éternité...

Autour il y avait le silence
Les guêpes et les nids des oiseaux
On allait à la pêche aux écrevisses
Avec Monsieur le curé
On se baignait tout nus, tout noirs
Avec les petites filles et les canards...

La maison près des HLM
A fait place à l'usine et au supermarché
Les arbres ont disparu, mais ça sent l'hydrogène sulfuré
L'essence
La guerre
La société...

C'n'est pas si mal
Et c'est normal
C'est le progrès.
Disembowel me alive

In the dawn of my life, some tears poisoned my soul
My gladness is a lie cause I'm getting so cold
Break the ice, my friend, break the ice
Hhelp me to fly or die with me
Don't run away, my friend, just listen to me

There is a mask sticked on my face
Hiding the torments and mistakes
the Burden of a life
A growing cancer within my mind

Sometimes we say "Life deserves to be lived"
This is happyness
This is blindness
I'm not happy
I'm not blind

If I pull the mask out of my face
You'll see the rotten flesh of my brain
Disembowel me alive

All the times I trusted in my self accomplishment
This was a fake picture of light
My own ashes cannot bright

I'm not a phoenix
I will never fly
My land is the nyx
Oh yes, this is mine

I'm just a bad piece of flesh and blood

I am a slave
Forever condemned
I dig my grave
Allready rotten

Heal my sickness
This incurable madness

Rip me out of this world
Rip me out of my flesh
The only way for you to save me
Is not to make me glad
The only way for you to save me
Is to disembowel me a[live]
You cannot save me
You've got to kill me

Save me
Kill me
Disembowel me alive