Monday, April 08, 2024

extrait de Chienne de Marie-Pier Lafontaine

J'aurais voulu écrire un roman sur mon enfance avec des pages et des pages remplies d'écriture. Sans espace blanc. Sans pause ni silence. Que l'on comprenne bien tout le vacarme que fait faire la peur de mourir à mon cœur.

Saturday, April 06, 2024

Extrait de "Tous les arbres au-dessous", de Antoine Jacquier

L'affaire semblait tourner autour du fait de poser des actes pour avancer en écoutant mon instinct plutôt que d'organiser ma vie de manière prudente et méthodique afin de ne laisser aucune place à l'imprévu. 

Saturday, February 03, 2024

Extraits de Préférer l'hiver, de Aurelie Jeannin

Et puis surtout, Maman n'a jamais cherché à me démontrer que la vie est belle. Elle ne dit pas que cela ira mieux demain. Ne relève pas le moindre rayon de soleil dans les feuilles pour tenter de me convaincre qu'il faut jouir de la vie. Je sais qu'elle fait de gros efforts, depuis toujours, pour essayer de vivre bien. De ne pas se laisser embarquer par elle-même. Elle connaît les discours théoriques et les démonstrations méthodiques. Elle sait.
Elle croit sur parole ceux qui disent que le salut se trouve dans le temps présent. Elle est d'accord pour célébrer la légèreté, la joie. Elle ne peut pas être contre. Mais ça n'est pas elle. Malgré ses efforts et ses résolutions, aborder la vie avec distance, parvenir à ne pas ployer sous le poids de la nostalgie comme sous celui de l'anticipation, ça n'est pas elle. Je crois, alors que j'ai aujourd'hui l'âge qu'elle avait lorsqu'elle m'a mise au monde, que Maman a abandonné cette quête. Elle lui a donné une autre direc- tion, à sa manière. Une qui lui permet de respirer plutôt normalement, d'apprécier certains moments et certaines compagnies, de se satisfaire de tout un tas de choses. Elle sait, je crois, qu'elle ne ressentira jamais la joie de vivre. Mais sa façon de regarder ce qui se passe nous a appris, à mon frère et à moi, à composer avec. Avec ce que nous sommes et avec ce que les choses sont, sans chercher à nous travestir, à rire à gorge déployée, à être bruyants de bonheur, sans chercher à changer les autres.



Je sais qu'elle a ce fantasme absolu. Parvenir à saisir pleinement et entièrement les choses. Parvenir à les saisir d'un seul et même regard, dans leur complexité infime et leur reliance totale.



On ne tient pas vraiment debout, on se relève, on retombe et on se relève. Et on le fait à chaque seconde. Tout cela mis bout à bout fait que nous tenons debout. En restant dans le passé, on tombe en arrière, et rien ne nous retient. Si on se projette, on tombe en avant, dans ce trou incertain que représente l'avenir. Il faut être dans le présent, de façon absolue, profonde, totale, pour, à défaut de continuer de vivre, au moins ne pas mourir.



Ça ne veut pas
dire que Maman ne ressent rien. Juste qu'en un temps
donné, ses émotions s'enchaînent à une vitesse telle que le point ultime est rapidement atteint. Ce visage face à moi n'exprime pas rien. Juste ce bout de chaîne, cet état qui n'est ni de la passivité ni du détachement mais la fin d'une course émotionnelle effrénée. Maman est un iceberg; l'essentiel se passe en profondeur. Il m'arrive de me dire que si elle devait laisser paraître en surface tous les reliefs de son être, tous les détours de ses cheminements intérieurs, son visage serait en permanence déformé.
Il ne serait qu'une forme élastique actionnée de toutes parts par des émotions qui tirailleraient de droite et de gauche. Maman passerait du rire aux larmes en quelques secondes, sourirait, froncerait les sourcils, gonflerait les joues, plisserait les yeux. Pour ne pas se laisser happer, il ne lui reste qu'une option : contenir le tourbillon, laisser une surface sinon pacifiée, en tout cas lissée. Abandonner en quelque sorte son visage, ne pas tenter d'en faire le reflet de quoi que ce soit. Et il me semble parfois être la seule à savoir que si elle sourit peu, c'est parce que le sourire n'est qu'une si infime partie de ce qu'elle ressent qu'elle
aurait le sentiment de se trahir en le laissant s'afficher
sur elle. Maman a abandonné depuis longtemps l'idée
que son visage puisse exprimer ce qui se passe en elle. Je
ne vis pas face à un tableau. Je vis aux côtés d'un volcan.