Sunday, October 11, 2009

[...] Mais ni le noir, ni le froid ne me repaissent. Pour raviver haine et douleur, il faut que j'aille à meilleure pâture car la nuit, mon aire de vie, est elle-même affamée d'autres haines et d'autres douleurs.
Et les étoiles cloutant le ciel jalonnent mes errances.
Les hommes me prêtent bêtise, lourdeur... Ah, les hommes ! Ils s'imaginent être les seuls maîtres de cette vulnérable boule de terre : leur nid obéissant à l'espace, alors que déjà, depuis sa création, elle est dominée par un éternel et puissant souverain fourchu qui l'a confiée à deux métayers instables mais de forces égales, l'un noir : la nuit, mon pâturage ; l'autre blanc : le jour, celui des hommes. Tous deux se querellent, empiétant peu à peu sur la part de l'autre dans un imperceptible mais constant jeu de forces, réglé d'avance et ne leur laissant en définitive, à tour de rôle, qu'un temps de victoire mesuré...
Hhrrr... et moi, à ma façon, ne suis-je pas également un maître ? Maître de la peur des hommes... Je vis la nuit, je meurs le jour...On me dit lourdaud, mais on se méfie. On me menace, mais on me fuit...
Cette nuit, mes griffes entrent dans un sol de velours jais et le lacèrent profondément, me donnant la sensation de prendre possession d'une chair tendre.
Ma course creuse le sombre comme lui-même écreuse mon ventre vide... toujours vide... Mes faims sont la terreur des hommes. Elles sont le bouquet de tous les appétits d'un monde maléfique... le mien. Vouloir les contraindre m'est impossible. Toujours mon ventre exige... Ses désirs sont longs de l'entière durée d'une nuit chaque soir impitoyablement renouvelée... Hhrrr... Tout ce qui me fait envie doit aussitôt être à moi...
Certes, si je ne courais pas ainsi, sans cesse, peut-être garderais-je les forces prises à mes victimes... Mais rester sur place, sans besoin, ne m'est pas permis : à leur tour les hommes détruiraient mes forces afin d'apaiser leur constant appétit de quiétude. [...]

Claude Seignolle, Le Galoûp