Il n'est pas de plus grande tragédie que l'égale intensité, dans la même âme ou le même homme, du sentiment intellectuel et du sentiment moral. POur être indiscutablement et "absolument" moral, on doit être quelque peu stupide. Pour être absolument intellectuel, on doit être quelque peu immoral. Je ne sais quel jeu ou quelle ironie des choses condamne chez l'homme cette dualité portée à un degré élevé. Pour mon plus grand malheur, elle se réalise en moi. Je n'ai donc, possédant deux vertus, jamais rien pu faire de moi. Ce n'est pas l'excès d'une qualité, mais bien de deux, qui m'a tué à la vie
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Chaque fois que j'ai rencontré, en quelque domaine que ce soit, un rival ou la posiblité d'un rival, j'ai renoncé aussitôt, sans la moindre hésitation. C'est une des rares circonstances de ma vie où je n'aie jamais connu d'hésitation. Mon orgueil ne m'a jamais permis d'entrer en concurrence avec quelqu'un d'autre, si j'avais en outre la perspective abjecte d'une défaite possible. De même, je n'ai jamais pu participer à aucun jeu de compétition. Si je perdais, j'étais toujours plein de rancoeur et de dépit. Parce que je me croyais supérieur aux autres ? Certes non, car je ne me suis jamais cru supérieur, que ce soit aux échecs ou au whist. Mais par orgueil, on orgueil qui débordait de toutes parts et qui saignait, sans qu'aucun des efforts désespérés de mon intelligence puisse le contenir ou l'étancher. Je me suis toujours placé en marge du monde et de la vie, et la choc que me donnait un de leurs éléments m'a toujours blessé comme une insulte lancée d'en bas, comme la révolte subite d'un laquais universel.
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Soudain, je fus pris d'u désir intense de renoncement absolu, de claustration ferme et définitive, d'un dégoût profond pour tous ces désirs, tous ces espoirs que j'aurais pu, extérieurement, réaliser si facilement, alors qu'il m'avait été, intérieurement, impossible de seulement pouvoir le souhaiter. De cette heure douce et triste date le début de mon suicide.
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Des idées brusque, admirables, exprimées partiellement par des mots intensément adéquats, mais sans lien entre elles, demandant à être ensuite cousues ensemble et dressées, tels de monuments ; mais ma volonté ne les accompagnerait pas si elles devaient marcher du même pas que l'esthétique, et non pas demeurer à l'état de paragraphes d'un conte virtuel ; oui, rien que des lignes qui auraient l'air admirables mais qui, en fait, ne le seraient que si, tout autour, on avait écrit ce conte dont elles étaient des moments forts, des expressions synthétiques, des liaisons... Certaines de ces idées étaient des traits d'esprit, admirables certes, mais incompréhensibles sans, tout autour, le texte qui n'a jamais été écrit.
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C'est le conflit entre le besoin émotionnel de croyance et l'impossibilité intellectuelle de croire.
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Tout ce que je pense ou éprouve se transforme inévitablement en inertie, aux modalités diverses. La pensée qui, chez d'autres, est la boussole de l'action, devient chez moi son microscope, et me fait voir des univers à franchir là où il suffirait d'un seul petit pas - comme si le raisonnement de Zénon (démontrant que l'espace est infranchissable, puisque infiniment divisible, donc infini) était une drogue bizarre dont on aurait intoxiqué mon système mental
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Ma vie toute entière se résume à une bataille perdue sur une carte : ma lâcheté ne s'est même pas fait jour sur un champ de bataille, où d'ailleurs elle ne se serait peut-être pas manifestée, mais dans le cabinet du chef d'état-major, en tête à tête avec son intime conviction d'aller à la défaite. On, n'a pas osé dresser de plan, parce qu'il aurait été de toute façon imparfait ; on n'a pas osé le rendre parfait, même s'il ne pouvait l'être réellement, parce que la conviction qu'il ne le serait jamais a brisé la volonté qui aurait permis à ce plan, même imparfait, d'être essayé malgré tout.
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J'étais devenu objectif avec moi-même. Mais je ne pouvait discerner si, ce faisant, je m'étais trouvé, ou bien perdu.
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Je m'étais endormi, et avec moi tous les privilèges de mon âme - les désirs qui rêvent bien haut, les émotions qui rêvent bine fort, et les angoisses qui rêvent tout cela à l'envers.
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J'ai atteint, me semble-t-il, à la plénitude de l'usage de ma raison. Et c'est pourquoi je vais me tuer.
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