mercredi, janvier 22, 2025

Poèmes de Arthur Rimbaud

 Sensation

Arthur Rimbaud

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :

Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.


Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l’amour infini me montera dans l’âme,

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, – heureux comme avec une femme.


Mars 1870


OPHELIE

I

Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles

La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,

Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...

- On entend dans les bois lointains des hallalis.


Voici plus de mille ans que la triste Ophélie

Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir

Voici plus de mille ans que sa douce folie

Murmure sa romance à la brise du soir


Le vent baise ses seins et déploie en corolle

Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;

Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,

Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.


Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ;

Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,

Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile :

- Un chant mystérieux tombe des astres d'or


II

O pâle Ophélia ! belle comme la neige !

Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !

C'est que les vents tombant des grand monts de Norwège

T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;


C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,

À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits,

Que ton coeur écoutait le chant de la Nature

Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;


C'est que la voix des mers folles, immense râle,

Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ;

C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,

Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !


Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !

Tu te fondais à lui comme une neige au feu :

Tes grandes visions étranglaient ta parole

- Et l'Infini terrible éffara ton oeil bleu !


III

- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles

Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;

Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,

La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.


Première soirée

Arthur Rimbaud

Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.


Assise sur ma grande chaise,

Mi-nue, elle joignait les mains.

Sur le plancher frissonnaient d’aise

Ses petits pieds si fins, si fins.


– Je regardai, couleur de cire

Un petit rayon buissonnier

Papillonner dans son sourire

Et sur son sein, – mouche au rosier.


– Je baisai ses fines chevilles.

Elle eut un doux rire brutal

Qui s’égrenait en claires trilles,

Un joli rire de cristal.


Les petits pieds sous la chemise

Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »

– La première audace permise,

Le rire feignait de punir !


– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,

Je baisai doucement ses yeux :

– Elle jeta sa tête mièvre

En arrière : « Oh ! c’est encor mieux !


Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »

– Je lui jetai le reste au sein

Dans un baiser, qui la fit rire

D’un bon rire qui voulait bien…


– Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.


Cahiers de Douai, 1870


Tête de faune

Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,

Dans la feuillée incertaine et fleurie

De fleurs splendides où le baiser dort,

Vif et crevant l'exquise broderie,


Un faune effaré montre ses deux yeux

Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.

Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,

Sa lèvre éclate en rires sous les branches.


Et quand il a fui - tel qu'un écureuil -

Son rire tremble encore à chaque feuille,

Et l'on voit épeuré par un bouvreuil

Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille.

Extraits de Poésies, de Paul Valery

 Le vent passe en les branches mortes Comme ma pensée en les livres, Et je suis là, sans voix, sans rien, Et ma chambre s’emplit de ma fenêt...