dimanche, octobre 27, 2024

Extraits de Préférer l'hiver, de Aurélie Jeannin

Je sais qu'elle fait de gros efforts, de puis toujours, pour essayer de vivre bien. De ne pas se laisser embarquer par elle-même. Elle connaît les discours théoriques et les démonstrations méthodiques. Elle sait. Elle croit sur parole ceux qui disent que le salut se trouve dans le temps présent. Elle est d'accord pour célébrer la légèreté, la joie. Elle ne peut pas être contre. Mais ça n'est pas elle. Malgré ses efforts et ses résolutions, aborder la vie avec distance, parvenir à ne pas ployer sous le poids de la nostalgie comme sous celui de l'anticipation, ça n'est pas elle. Je crois, alors que  j'ai aujourd'hui l'âge qu'elle avait lorsqu'elle m'a mise au monde, que Maman a abandonné cette quête. Elle lui a donné une autre direction, à sa manière. Une qui lui permet de respirer plutôt normalement, d'apprécier certains moments et certaines compagnies, de sa satisfaire de tout un tas de choses. Elle sait, je crois, qu'elle en ressentira jamais la joie de vivre.


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Je sais qu'elle a ce fantasme absolu. Parvenir à saisir pleinement et entièrement les choses. Parvenir à les saisir d'un seul et même regard, dans leur complexité infime et leur reliance totale. Elle parle d'un objet poli et rond ; elle aimerait que sa vie trouve sa forme. Qu'elle puisse expliquer l'origine de chaque chose, ce que chaque événement a pu générer à sa suite. Une masse d'interconnexions dont on pourrait s'emparer globalement pour enfin comprendre vraiment.


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 On ne tient pas vraiment debout, on se relève, on retombe et on se relève. Et on le fait à chaque seconde. Tout cela mis bout à bout fait que nous tenons debout. en restant dans le passé, on tombe en arrière, et rien ne nous retient. Si on se projette, on tombe en avant, dans ce trou incertain que représente l'avenir. Il faut être dans le présent, de façon absolue, profonde, totale, pour, à défaut de continuer de vivre, au moins ne pas mourir.


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Ca ne veut pas dire que maman ne ressent rien. Juste qu'en un temps donné, ses émotions s'enchaînent à une vitesse telle que le point ultime est rapidement atteint.


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Je ne cherche pas à ce que l'on me raconte une histoire. Je veux que cela soit divinement écrit. Je veux sentir l'équilibre parfait des tournures; Le poids des mots qui se pondèrent dans les phrases. Je veux cette fluidité qui transporte. Quand tout coule et semble si juste, mais alors si juste. 


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Je m'étais juste dit que nous avions tous bien tort d'imaginer nous connaître les uns les autres. Nous sommes des mystères qui ont mine de se comprendre pour que le monde tourne à peu près. Au-delà, nous sommes, me semble-t-il, plutôt seuls. 


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Je m'étais perdue en moi. J'étais devenue labyrinthique. Je m'épuisais. Et tous mes efforts pour me comprendre ne faisaient qu'accentuer la dérive de ma propre boussole. 


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J'avais le sentiment d'assister à mon agonie. De rire de moi-même, m'observant me débattre. Me moquant de mes essais pour comprendre et m'en sortir. J'étais comme un monstre s'autoalimentant. Alors, je me détestais. Et pour m'en sortir, je continuais de chercher mes failles. Comme j'en trouvais, elles se renforçaient, se nourrissaient les unes es autres. Je ne pouvais pas tout comprendre. Cela m'épuisait.


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Ouvrir les yeux pour chasser le noir de mes paupières.


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Vous n'êtes pas folle. Vous n'êtes pas malade. Vous venez de découvrir que dans votre cerveau, les informations, les idées et les émotions ne s'enfilent pas comme des perles sur un fil, mais tissent une toile. Ou se ramifient comme pousserait un arbre. [...] Votre acuité vous expose, vous rend perméable, sensible et alerte. C'est une forme de vulnérabilité mais aussi une incroyable force. En vous écoutant et en vous respectant, vous trouverez comment composer avec vous-même. Vous trouverez les bons environnements pour vous. Et vous serez heureuse. 


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Ma singularité, comme tout un chacun, était ce qui m'avait construite autant que ce qui m'avait rendu bancale. J'avais appris à marcher avec. L'abandonner, même au profit de quelque chose de meilleur, était un chemin difficile. C'était lâcher une part de mon identité, alors même qu'il me semblait en être à la recherche. Comment alors, laisser glisser ce manteau ? Comment muer ?


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Il y avait une porte, et j'avais des clés. Je le savais, le chemin serait encore long. Il y aurait mes réflexes et mes crispations naturelles. Je savais mes boîtes noires. Mais je savais aussi, j'allais le découvrir, mes ressources et mes ressorts. C'était le prix d'un abandon salvateur. J'étais en droit d'espérer que le reste de ma vie soit un beau chemin. 


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Presque toujours, j'ai laissé mon exigence, ou mon inquiétude, rogner mon bonheur. Et je pensais, avec  un fond de condescendance dont j'étais consciente mais que je ne parvenais pas à éviter malgré tous mes efforts pour le repousser loin, qu'il y avait dans le bonheur quelque chose de simpliste. Je l'ai donc étouffé, en soignant mon excessive conscience des choses. Je trouvais toujours matière à doucher n'importe quel élan de spontanéité ou de joie simple. Je pensais qu'en redoutant le pire, en permanence, je parviendrais à le tenir à distance. J'ai ainsi sapé mon plaisir, longtemps, tout le temps. [...] Il est difficile de formuler un regret à propos d'un fait ou d'un état dont on sait qu'aucune alternative ne se présentait vraiment.


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Je suis fatiguée d'être moi, fatiguée de mes détours, de la vivacité de mes pensées qui ne me laissent aucun répit.


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Je sens que je vais pouvoir quitter l'hiver. Accéder à une forme de légèreté compensatrice. Peut-être. Une légèreté profonde. Mais présente. Qui m'a sauvée bien des fois, lorsque le monde était là, à m'entourer et me regarder. Une légèreté que je dois apprivoiser pour apaiser cette noirceur qui m'est si facile mais qui m'effraie trop souvent. Ma rouille. Je lis ce soir : Se faire à moitié tuer une fois, ça doit être mieux qu'être à moitié vivant pour toujours.

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